mercredi 9 avril 2014

Paharmacologie Générale Des Anesthésiques Locaux

DEFINITION ET HISTORIQUE
Un anesthésique local (AL) se définit comme une substance qui appliquée au contact du tissu nerveux possède la capacité de bloquer la conduction axonale. Au niveau moléculaire ces médicaments agissent en ralentissant la vitesse de dépolarisation des fibres nerveuses et l’entrée de sodium. Il s’agit d’une propriété fondamentale partagée avec d’autres médicaments tels que certains anti-arythmiques et certains médicaments anti-convulsivants. Ce mécanisme commun explique que les AL aient des applications en cardiologie (traitement des troubles du rythme) mais aussi leurs effets indésirables parfois graves au niveau du système nerveux central (voir plus loin).
Historiquement le premier anesthésique local fut la cocaïne utilisée par Koller en 1884 en instillation dans le cul de sac conjonctival. Si la cocaïne, qui est un ester de l’acide benzoïque, n’est plus utilisée comme anesthésique local, la modification de la structure de l’acide benzoïque a donné naissance à de nombreux médicaments que l’on classe souvent en fonction de leurs particularités chimiques en dérivés esters, éthers ou amides. Le Tableau 1 résume les spécialités disponibles en France ainsi que le cadre général de leur utilisation (pour le détail des indications et le mode d’administration, consulter le dictionnaire Vidal).

MECANISMES D’ACTION ET FACTEURS CONDITIONNANT L’ACTIVITE ANESTHESIQUE : 

Mécanisme d’action :
Les AL agissent sur toutes les cellules excitables polarisées musculaires ou nerveuses ce qui explique leurs effets latéraux centraux et cardiaques. Au niveau cellulaire, ils ne modifient pas le potentiel de repos mais diminuent la vitesse de dépolarisation surtout à sa phase initiale (dépolarisation lente) augmentant ainsi le délai nécessaire pur atteindre la valeur seuil de dépolarisation. Ces médicaments ralentissent également la vitesse de repolarisation et prolongent donc la durée de la période réfractaire. On décrit parfois leur effet comme une action stabilisatrice de la membrane cellulaire.
Au niveau moléculaire, on considère les AL se fixent au niveau d’un « récepteur » sans doute situé à la face interne des canaux sodiques dépendants du voltage. Ce site de fixation n’a cependant jamais été identifié et ce type simple d’interaction rend difficilement compte des effets de certains AL comme la benzocaïne qui est peu ou pas ionisée au pH intracellulaire. Une autre théorie suggère que les AL modifient la tension de la membrane cellulaire au voisinage des canaux sodiques modifiant ainsi indirectement leur conformation spatiale et leur perméabilité : c’est la théorie dite de « l’expansion membranaire ».

Facteurs modifiants l’activité des AL :
La structure chimique :
Bien que possédant tous un squelette moléculaire identique formé d’un noyau aromatique lipophile et d’une fonction amine terminale, les AL diffèrent par une chaîne intermédiaire de longueur variable et porteuse d’une fonction ester, éther ou amide.
La longueur de la chaîne intermédiaire est en relation avec l’activité pharmacologique. La présence d’un radical butyl sur le noyau benzénique (tétracaïne) ou sur la fonction amine (bupivacaïne) améliore la liposolubilité et donc raccourcit le délai d’action. Elle augmente également la liaison aux protéines ce qui va de pair avec une activité intrinsèque plus marquée et une durée d’action prolongée.

Le degré d’ionisation :
Les AL sont des bases faibles. Seule leur fraction non ionisée est susceptible de franchir les membranes cellulaires alors que la fraction ionisée est celle qui agira sur le canal sodique. Ainsi de faibles variations du pH plasmatique, et en particulier l’acidose, sont susceptibles de modifier le degré d’ionisation et donc l’activité pharmacologique.
La nature et l’architecture des fibres nerveuses :
Au niveau neuronal, le bloc de conduction induit par les AL intéresse toutes les fibres qu ‘elles soient sensorielles, sensitives, motrices ou autonomes. Cependant, les fibres les plus fines sont les plus sensibles à leur action : les AL affectent d’abord les fibres amyéliniques (fibres C) et en dernier lieu les fibres de gros calibre fortement myélinisées.
La progression de l’anesthésie des régions proximales vers les régions distales et la levée de l’anesthésie en sens inverse s’expliquent par l’organisation des fibres à l’intérieur du tronc nerveux : les fibres à destinée proximales sont situées à la périphérie du nerf.

LES AUTRES PROPRIETES PHARMACODYNAMIQUES: 
Effets sur le système nerveux central : 
 Ils découlent de la capacité des AL à franchir la barrière hémato-encéphalique leur permettant de modifier l’activité des neurones du système nerveux central selon des modalités dépendant de la sensibilité des diverses structures cérébrales et des concentrations plasmatiques.
Ces effets indésirables supposent que bien que les AL s’utilisent en administration locale (voir pharmacocinétique), ils sont capables de diffuser dans l’organisme et donc d’avoir des effets systémiques:

  • A faibles concentrations, les AL peuvent déterminer des étourdissements, une sensation de tête vide, une somnolence. On note également une activité anticonvulsivante par inhibition des flux sodiques dans les foyers épileptogènes. 
  • A concentrations moyennes, apparaît une agitation psychomotrice, frissons, tremblements des extrémités. On peut également observer des convulsions surtout en cas d’hypercapnie et d’acidose respiratoire en raison d’une plus forte diffusion tissulaire du médicament AL dans ces conditions.
  • A fortes concentrations, les AL dépriment l’activité du SNC avec sédation, troubles de la conscience et dépression respiratoire.
Les effets cardiovasculaires :
Ils peuvent s’observer avec tous les AL en cas de diffusion systémique notable. Les effets cardiaques sont parfois recherchés avec la lidocaïne du fait de ses indications en cardiologie. 
Les effets cardiaques :
Ils dépendent essentiellement de la concentration plasmatique mais aussi de l’activité intrinsèque et de la durée d’action propre à chaque molécule. Certains effets sont recherchés en thérapeutique mais la plupart entrent dans le cadre des effets latéraux indésirables.

  • A faibles doses : les AL se comportent comme des anti-arythmiques (classe I) dont l’action prédomine au niveau des fibres dépolarisées et donc des foyers arythmogènes. Ceci rend compte de l’utilisation de la lidocaïne dans le traitement des arythmies ventriculaires de l’infarctus du myocarde ou des intoxications digitaliques.
  • A forte doses, s’installent des effets sur la conduction (allongement de l’espace PR et élargissement du complexe QRS), une bradycardie sinusale et un effet inotrope négatif.
Effets vasculaires périphériques :
Ils s’observent surtout avec les dérivés amidés (exemple : lidocaïne). Aux faibles doses survient une vasoconstriction alors qu’à fortes doses on note une vasodilatation périphériques qui associée aux propriétés inotropes négatives participent à la chute tensionnelle des surdosages en AL.

PROPRIETES PHARMACOCINETIQUES :   
Résorption
Bien qu’utilisés en le plus souvent administration locale (seule la lidocaïne est employée par voie intraveineuse en cardiologie), les AL ont tous tendance à diffuser à partir de leur point d’application. L’importance et la vitesse de la résorption dépend de la vascularisation du tissu. Ainsi, après une application sur une muqueuse richement vascularisée (pharyngée ou respiratoire) les concentrations plasmatiques obtenues peuvent être identiques à celles observées après un injection intraveineuse. Cette diffusion non recherchée explique les effets indésirables prévisibles cardiaques et sur le système nerveux central (voir plus haut).
On peut réduire l’importance de la diffusion systémique et les effets indésirables à distance par l’addition à la préparation d’un vasoconstricteur comme l’adrénaline. De plus la vasoconstriction prolonge la durée d’action de l’AL en en augmentant la rémanence du composé sur son site d’action. La présence d’adrénaline explique le profil d’effets indésirables et les contre-indications particuliers à ces spécialités.

La demi-vie plasmatique :  
Elle est très variable mais en général brève. La connaissance de ce paramètre est de peu d’intérêt en pratique quotidienne car il n’est pas relié à la durée de l’effet qui dépend de la nature du tissu où est administré le médicament mais aussi de l’utilisation simultanée d’adrénaline. 
Métabolisme :
Il s’avère différent en fonction de la structure chimique :

Les esters (procaïne, tétracaïne) sont hydrolysés au niveau du plasma par les pseudo-cholinestéases et donnent naissance à l’acide para-aminobenzoïque qui est sans doute à l’origine des réactions allergiques aux AL (voir effets indésirables).
Les amides (lidocaïne) sont métabolisés par les amidases du foie. L’insuffisance hépatique mais aussi certains médicaments (propranolol…) s’accompagnent d’un allongement parfois considérable de la 1/2 vie et d’une prolongation des effets pharmacologiques. 

LES EFFETS INDESIRABLES : 

Les réactions allergiques :
Leur prévalence est difficile à préciser et elles peuvent être liées à l’AL ou aux conservateurs utilisés dans les préparations contenant de l’adrénaline (sulfites). La survenue d’un accident allergique doit être prise en compte et signalée sur le dossier médical du patient de façon à prévenir toute réadministration ultérieure de la même préparation ou d’un autre AL appartenant à la même famille chimique

Les manifestations générales à type de choc anaphylactique restent rares et s’observent surtout avec les dérivés esters (elles sont imputées à la formation d’acide para-aminobenzoïque lors du catabolisme). Parfois graves, elles nécessitent une prise en charge médicale adaptée immédiate (adrénaline iv ou sc ou corticoïdes).
Les manifestations cutanées (éruption érythémateuse, urticaire) : un certain nombre sont vraisemblablement dues aux conservateurs dans les préparations contenant de l’adrénaline (sulfites). Cependant, les dérivés esters (procaïne, tétracaïne) peuvent déterminer des eczémas de contact ou des éruptions parfois étendues.
La nécrose : 
Elle découle toujours d’une erreur technique lors de l’administration dans une région dépourvue de circulation collatérale (oeil, doigt, verge). L’utilisation de formes pharmaceutiques contenant un vasoconstricteur dans ces régions dont être proscrite. 
L’infection :  
Comme pour la nécrose, elle est le fait d’une erreur technique et du non respect des règles d’aseptie. 
Les effets indésirables liés à la présence de vasoconstricteurs :
Ils découlent des effets cardiovasculaires induits par le vasoconstricteur. Ceci explique la contre-indication d’utilisation des AL en cas d’insuffisance coronaire, d’HTA sévère ou de cardiomyopathie obstructive. Pour les mêmes raisons les AL ne doivent pas être utilisés en infiltration locale au niveau des doigts ou de la verge.

La toxicité aiguë et le surdosage :
L’administration de quantités excessives (doses répétées) ou intravasculaire directe accidentelle peuvent déterminer l’apparition d’effets indésirables graves cardiovasculaires ou neurologiques (voir plus haut). Face à ce risque toujours possible, les indications doivent être posées avec soin surtout lors de l’utilisation dans des indications à risque (anesthésie péridurale, bloc intercostal).

CONCLUSION :
L’objet de ce texte est de présenter les grandes propriétés pharmacologiques des AL indispensables à leur utilisation correcte. Les modalités d’utilisation sont nombreuses et seront détaillées par ailleurs. Deux points importants sont à retenir :
• Le mécanisme d’action des AL ne leur est pas spécifique. Il se retrouve avec les anti-arythmiques de classe I et certains médicaments anti-convulsivants. Cette parenté de mécanisme d’action explique l’utilisation de ces médicaments en Cardiologie, en Neurologie mais aussi dans le traitement de la douleur (voir également « traitement des douleurs neuropathiques) ;
• De nombreuses spécialités sont disponibles sur le marché dont un nombre non négligeable sont vendus sans ordonnance (spécialités à base de tétracaïne) et peuvent être à l’origine d’accidents allergiques graves.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire